Boujaron. La renaissance d’un rituel marin à l’ombre des pommiers
A Binic-Etables-sur-Mer, chemin du Ponto, un écriteau : Cidre bouché, Boujaron :
« Bienvenue » chez Jacques et Martine Barreau »
Jacques arrive à grandes enjambées du verger et Martine vous accueille avec un large sourire
Les mains de Jacques sont endurcies par des années de labeur, et témoignent d’un amour inconditionnel pour le travail, la terre et le fruit que l’on peut en récolter.
Son trésor est là, à portée de main, une jolie bouteille en verre, Le Boujaron. Jacques sert un godet et fait valser le liquide brun caramel. Avant d’y tremper les lèvres, on hume les arômes qui se déploient. À 10 h du matin, « la bonne heure pour déguster », les 42° d’alcool
Bien avant d’être une marque déposée, un alcool chouchouté, le boujaron était « un rituel » prisé des marins. Jacques réveille sa mémoire. « L’un de mes arrière-grands-pères, Jean-Marie Botrel, était capitaine d’une goélette. Avec ses gars, ils partaient pêcher la morue en Islande de février à août. Pour tenir le coup, ils avaient le droit au boujaron.
Pour comprendre le mariage entre le boujaron et les pommes, Jacques fait appel à son autre arrière-grand-père, François Le Bars. Ce dernier possédait à la fin du XIXe siècle un four à chaux à Saint-Quay-Portrieux. « À la fin des campagnes de pêche, plusieurs marins allaient y travailler. Sauf que lorsqu’ils revenaient au pays, il n’y avait plus l’eau-de-vie du bord. Pour perpétuer la tradition, on a donc commencé à distiller du cidre. Les années passent. Petit à petit, l’esprit marin qui régnait en pays Goëlo s’estompe. Le rituel du boujaron s’embrume, puis disparaît. Même les vergers, très abondant jusqu’au début des années 60, sont ratiboisés pour laisser place à de nouvelles cultures. Dans le sillage de cette aventure, il a entraîné Martine, sa femme. Fille de pêcheur, elle a su trouver sa place au milieu de la passion de son mari. L’histoire du boujaron, c’est avant tout celle du pays Goëlo, « c’est aussi la mienne », souligne-t-elle. Comme son époux, le travail au quotidien ne l’effraye pas. Son record personnel : « 1, 7 t de pommes ramassées en 7 h 30 ».
« Aujourd’hui, j’en fais un peu moins », dit-elle, presque en s’excusant. Ce n’est pourtant pas vraiment la vérité. Au Verger du Ponto, le téléphone n’arrête pas de sonner et les visiteurs sont légion. « On reçoit beaucoup d’habitués. Certaines personnes viennent de loin. Il profite de l’été pour passer quelques jours dans la région », explique Martine. Justement, ce jour-là, un couple arrive.
Plutôt que de se reposer sur ses lauriers, l’homme qui a réveillé le boujaron garde la tête froide, le regard tourné vers l’avenir. Une filière cidricole sauvée, un boujaron sauvegardé, l’aventure ne fait finalement que commencer.
« Il faut continuer pour transmettre les valeurs et l’histoire ». « C’est ça le plus important ».
Venez donc leur rendre visite, ils vous expliqueront eux-mêmes leur histoire d’amour pour leurs pommiers qui ont su leur donner la fierté d’avoir réussi à assouvir leur passion.